Le site naturel classé de la Boucherette (Lugny)

Le site naturel de la Boucherette, situé sur le territoire de la commune de Lugny (au nord-ouest du hameau de Collongette), appartient à un site naturel protégé de cent quatre hectares officiellement dénommé « Les bois et pelouses de Charvençon », géré par la direction régionale de l’Environnement (DIREN) de Bourgogne en tant que zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (znieff). Ce site inscrit par la DIREN à l’inventaire régional à la fin des années quatre-vingts se caractérise par une végétation réclamant des conditions chaudes et sèches, ainsi qu’un sous-sol calcaire, et il se compose d’une forêt (chênaie pubescente), d’une lande à buis et d’une pelouse calcaire sèche (dénommée « teppe »). S’y trouve en outre une ancienne « lavière » – d’où l’on extrayait autrefois ces pierres plates utilisées pour couvrir certaines toitures – ainsi qu’une carrière qui fut ouverte au milieu du XVIIIe siècle et qui servit notamment, dans les années 1920, à la construction de la coopérative vinicole de Lugny.

La Boucherette, d’une superficie de quinze hectares accrochés à l’un des versants du bois de Charvençon, se découvre depuis juin 2000 en empruntant un sentier nature et découverte balisé réservé aux piétons et équipé de panneaux permettant la découverte d’une faune et d’une flore particulièrement dignes d’intérêt. Elle est principalement constituée d’une pelouse calcaire ; mais, tout comme le site classé auquel elle appartient, elle est aussi faite d’une chênaie pubescente et d’une lande à buis. Globalement orientée au sud, elle offre des conditions favorables à des espèces végétales et animales recherchant chaleur et soleil et supportant la sécheresse. La Boucherette constituait d’ailleurs il y a quelques années, avant l’accélération du réchauffement climatique, la limite nord de l’aire de répartition de la petite cigale montagnarde.

À la fin du XIXe siècle, la Boucherette était plantée en vigne, comme en témoigne ce qu’il reste, ici et là, de nombreux murets faits de pierre sèche (localement dénommés « murgers »). Après le désastre causé par le phylloxéra (insecte qui détruisit la totalité du vignoble de Lugny, soit quelque cinq cents hectares, de 1880 à 1887), elle devint un pâturage communal, ce qu’elle fut jusque dans les années cinquante. Abandonnée, la Boucherette devint une friche, et les buis, qui la colonisèrent, menacèrent « d’absorber » le site. À la fin des années quatre-vingt-dix, plusieurs Lugnisois, soutenus par la municipalité, s’intéressèrent à ces quelques arpents de nature implantés au cœur du Haut-Mâconnais et mesurèrent tout l’intérêt qu’ils présentaient, en particulier pour leur flore. Madame Renée Conry, alors professeur de sciences et vie de la terre au collège public « Victor Hugo » de Lugny, entreprit l’exploration du site. Parcourant les pelouses et les sentiers avec ses élèves de sixième, se perdant dans les buis, elle constata la grande diversité des espèces existantes et acquit la conviction que cet espace pouvait servir de support vivant aux cours dispensés dans sa matière, pour peu qu’il soit protégé, autrement dit qu’on s’assure qu’il ne puisse ni être construit ni être replanté en vigne. Et qu’on agisse pour stopper son enfrichement… À cette époque, le conseil régional de Bourgogne faisait la promotion d’une charte ayant pour but de contribuer au développement des communes rurales et leur permettant, à cet effet, de recevoir des subventions, pourvu que ces communes intègrent un volet environnemental. Les conditions étaient dès lors réunies pour lancer un projet de valorisation de la Boucherette, et divers partenaires signèrent sans tarder une convention visant à « la conservation et la gestion du site naturel de la Boucherette à Lugny ». En terme de support financier, la collectivité fut la communauté de communes du Haut-Mâconnais (qui avait son siège à Lugny), le support scientifique revenant, quant à lui, au conservatoire des espaces naturels bourguignon (qui aida dans la préparation du projet). La commune de Lugny, pour sa part, mit à disposition l’ensemble du site, qui lui appartenait en propre. Enfin, une équipe de bénévoles membres du comité d’animation de Lugny (Codalu) s’engageait à se charger des corvées en tout genre (qui ne manqueraient pas…).

Deux années furent nécessaires pour mener le projet à son terme : défrichement des bordures de la grande teppe colonisées par les buis, déboisement d’un espace pour dégager la visibilité au point culminant du site, fauchage et exportation des herbes sèches des pelouses, réouverture et création de sentiers, pose de clôtures et de barrières, préparation de la signalétique et de la promotion, etc. Les élèves du collège public furent largement associés à la création des sentiers et des panonceaux (ils devaient contribuer, plus tard, à la production de deux livrets pédagogiques de reconnaissance des arbres). L’inauguration eut lieu au printemps 2000. Depuis, un entretien régulier par des employés de la commune et des bénévoles, mais aussi par des chevaux et même des ânes, a permis de conserver le site en excellent état. Il accueille désormais plusieurs centaines de visiteurs par an et il a été répertorié dans le réseau « Découvertes nature en Bourgogne » du conservatoire.

Le sentier « nature et découverte »,  d’une longueur de deux kilomètres et d’un dénivelé de quatre-vingts mètres, permet au promeneur flâneur de traverser les différentes zones du site, en particulier l’ancienne carrière, la lavière, la forêt, la grande teppe. C’est ainsi qu’on marche successivement sur des pierres, des feuilles mortes, de l’herbe, de la terre, souvent en plein soleil et parfois dans un « tunnel » de buis. Par la grande diversité de ce sentier, on découvre, au fil de la progression sur le site, divers panoramas : le vignoble réputé de Lugny et la vallée de la Saône vers l’est, la vallée de l’Ail (affluent de la Bourbonne) en direction de l’ouest, le bourg de Lugny lové dans son cirque de collines au sud, et plusieurs sommets caractéristiques des monts du Mâconnais (tels le mont Saint-Romain culminant à 579 mètres, la Grosse Roche et ses 441 mètres, le mont de la Péralle haut de 420 mètres).

Une cinquantaine d’arbres et d’arbustes différents ont été répertoriés : le chêne pubescent et le buis, relativement invasifs, mais aussi d’autres moins courants, tels l’érable à feuilles d’obier, le nerprun, et aussi quelques-uns venus de beaucoup plus loin : un cèdre de l’Atlas, un pin laricio de Corse. Par ailleurs, en mai et juin, moment où la flore explose et s’expose, une douzaine de variétés d’orchidées peuvent être observées sur le site, dans une multitude de senteurs et de couleurs. Dans la brise légère, à travers les ondulations des bromes et des fétuques, la flore typique des pelouses calcaires s’exprime ici dans toute sa panoplie de couleurs : le rose éclatant de l’orchis pyramidal et du géranium sanguin, le jaune d’or de la coronille emerus ou de la blackstonia, le bleu profond de la vipérine et des sauges. Une multitude de papillons et autres insectes assurent leur fonction millénaire de pollinisation. De son vol léger et aléatoire, l’insaisissable ascalaphe recherche sa compagne perdue sous un rayon du chaud soleil d’été. Le soir venu, ou dans la fraîcheur du matin, il se laissera cependant photographier sans s’esquiver. La grive musicienne sera la dernière de la journée à interpréter sa mélodie, accompagnée parfois de la petite cigale, témoin d’une influence méditerranéenne certaine. Le site est également le lieu de villégiature d’autres habitants, entre autres le lézard vert et la mante religieuse.

Texte : Daniel Conry et Frédéric Lafarge, pour Lugny Patrimoine (juillet 2014).